Nouvelle : Nuit blanche
Par Kim Koto l Illustration. Andry Patrick Rakotondrazaka
C’était en fin d’après-midi. Je descendais du bus après une journée à vagabonder, tentant de trouver une alternative aux dimanches étouffants de mon appart. Bien qu’au-dessus de ma tête, le ciel fût d’un gris sombre et menaçant, loin à l’horizon, les nuages prenaient une couleur orange incandescente. Désormais debout sur le trottoir, mon regard s’attarde. Derrière, le soleil se couche.
18h03 :
De grosses gouttes s’écrasent sur mon visage et me sortent de mes rêveries. Voulant échapper en vain à cette subite douche froide, autour de moi, les gens se mettent à courir de partout, gloussant ou râlant, puis emportant leur tapage en allant se bousculer sous les abribus. Ne voulant pas me mélanger, je me dirige un peu plus loin devant une petite épicerie. Là, je m’allume une cigarette et puis tire une taffe comme s’il s’agissait de ma première bouffée d’air après plusieurs minutes d’apnée. Devant moi, sur la route, les voitures ont déjà leurs phares allumés et leurs lumières jaunes et rouges viennent réfléchir sur le macadam humide. Un défilé de lumière, me dis-je. Cela peut sembler magnifique quand on ne fait pas vraiment attention à ce qui se passe autour. En fait, là, je suis entouré de rats. Non, je ne parle pas de ces bestioles qui se baladent sur les dalles puantes de mon quartier. Je parle ici de ces rats qui m’entourent. Des déchets… Des créatures égoïstes, connes et laides. Cela fait des millénaires que nous infestons ce monde, le façonnant à notre image, pourrissant tout sur notre passage. Vous devez vous dire que c’est absurde de mépriser autant sa propre espèce. Oui, j’en fais partie. Mais cela ne m’empêche pas de me dire que nous ne méritons pas notre existence. Nous sommes comme des cellules cancéreuses, une anomalie dans notre écosystème. C’est en cet après-midi d’été à m’efforcer d’apprécier cette beauté artificielle que je songe à la manière dont je pourrais mourir.
18h30 :
Mon appartement se trouve juste à quelques dizaines mètres de l’arrêt du bus, dans un immeuble au bord de la route. Ici c’est la cité, et les petites maisons uniformes aux alentours lui donnent un air plus ou moins imposant, mais elle reste tout aussi dénuée de charme. Bien que je ne m’y sente pas vraiment à mon aise, je dois avouer qu’apercevoir de loin cette forme rectangulaire me soulage un peu. Bonsoir haie en bois usé par les intempéries dont la peinture est tout écaillée. Bonsoir emballages, couches pour bébé usées et mauvaise herbe jonchant le sol mouillé. Bonsoir murs aux déclarations d’amour enfantines et aux phallus ridicules dessinés au charbon. Désormais à l’intérieur du bâtiment, je me déplace sous les ampoules brûlées et les ampoules clignotantes. C’est en montant des marches mal éclairées que je me pose la question suivante : qu’est ce qui m’a donc pris de sortir ?
19h05
Après avoir galéré pour rentrer ma clé dans la serrure de ma porte, je rentre enfin dans mon appartement. On ne peut pas vraiment dire que c’est animé. Contrairement à ces personnages dans les films américains, moi, je n’ai personne à qui crier que je suis rentré, pas un chat à nourrir et même pas une plante dont je pourrais inspecter les feuilles pour voir si elle va bien. Je n’ai que le silence pour m’accueillir. Je me rappelle alors les premières soirées passées seul chez moi. N’ayant qu’une vieille radio comme source de distraction, je mettais la musique et montais le volume à fond, puis je dansais, je criais, passant d’une pièce à l’autre… comme pour combler le vide… Trêve de nostalgie, me dis-je.
C’est dans une pièce sous la lumière tamisée de ma petite lampe que je prends mon dîner. C’est tout ce que je peux me permettre vu le prix de l’électricité, et les ampoules au néon ce n’est pas vraiment l’idéal pour mettre un peu de chaleur chez soi. Déjà, tout y semble fade, et les seules traces de vie existantes, à part moi, entre ces quatre murs, sont ces gros cafards qui se cachent derrière mes quelques meubles. Ils ne sont pas très timides d’ailleurs. J’ai droit à au moins trois apparitions à chaque repas. Ce soir, l’un d’eux a décidé de se montrer un peu pour me tenir compagnie. Là, sur le sol carrelé de ma cuisine, Il se prélasse, sur le dos, immobile… raide mort. En fond sonore, j’ai droit au ronflement de mon vieux réfrigérateur, le seul objet qui pourrait avoir de la valeur dans mon misérable taudis, et au tic-tac agaçant de la montre accrochée au mur. Le temps passe trop lentement. Une minute parait une éternité dans cette ambiance particulièrement dérangeante. Je jette les restes de pâtes refroidis que je n’ai pas pu finir et part me coucher.
[…]