Le car express avait déjà bouclé cinq de ses six étapes sur ce trajet qui reliait le Sud au Nord de l’île.  Peu à peu avaient débarqué une dizaine de passagers aussitôt remplacés par de nouveaux venus.  Le gros de la troupe se destinait à l’étape finale : la capitale, St Denis. 

Le hasard de la route avait rassemblé dans les flancs de ce cargo jaune un public divers, cosmopolite, qui s’apprêtait à partager du mieux qu’il pouvait cette plage horaire de deux heures. Ce n’était pas la première fois que, délaissant ma voiture, je m’étais adonnée à ce mode de transport. Il me permettait de me fondre, personnage anonyme et pourtant ô combien présent et attentif, à la vie quotidienne de mes concitoyens. 

On aurait pu déceler dans cette attitude un côté voyeur, presque intrusif, n’eût été le réel intérêt sociologique que je voyais à profiter des sièges surélevés d’un bus pour plonger dans l’arrière-cour des maisons, les entrepôts des magasins, les cours des écoles. Vous saute alors au visage toute une vie que ne pourriez imaginer, assis dans une voiture, le regard fixé sur la route et l’esprit concentré sur la conduite dans le trafic routier particulièrement dense de notre île. 

Tout en me laissant bercer par le ronronnement du moteur, je me livrais avec bonheur à la contemplation de ruelles, de canaux, de côtes, qui, ville après ville, à chaque trajet, me livraient un peu plus leurs secrets. Je trouvais également un autre atout à ces virées en car : le véritable plaisir de côtoyer, même l’espace d’un court moment, des hommes et des femmes divers, de tous âges, de toutes ethnies, de toutes catégories sociales. 

Ces moments se révèlent d’une richesse incomparable pour tout oeil tant soit peu observateur. Ils vous livrent sur un même plateau des instantanés de vie mettant en jeu les éternels ressorts de notre humanité. Pour quelqu’un comme moi dont l’esprit bat souvent la campagne, vous pouvez vous surprendre en pleine méditation métaphysique sur le genre humain : ses grandeurs et décadences et tutti quanti…