Malgache Nouvelle Génération
Le passage des années 1990 aux 2000 marque sans doute l’un des plus grands fossés creusés entre les générations. Grandir dans une société qui se déresponsabilise des actes de ceux qu’ils jugent irrespectueux mais qui s’approprie facilement les réussites de ceux-là même, empêche de savoir sur quel pied danser. Toutefois, faut-il vraiment penser à une « rupture » entre les deux et même avec celles d’avant ?
Ceci est une simple observation d’une citoyenne lambda qui s’inquiète à chaque prise de décisions. Ceci est le récit d’un individu né dans les années 90 qui devient parent au XXI siècle. Ceci est sans doute l’une des histoires les plus communes que beaucoup de jeunes citoyens de ce pays aient pu partager. Ceci est cri, un ras-le-bol de l’incontournable « c’était mieux avant » qui résonne comme un reproche à la génération actuelle. Reproche qui ne remet pas en cause la contribution de la génération précédente dans la destruction de cet « avant » qui était mieux.
« Ny tanora no hoavin’ny firenena » – les jeunes sont l’avenir de la nation. Voilà une devise que tout Malgache reconnaît certainement. Voilà une devise qui laisse penser que les jeunes ont leur place dans cette société. Voilà une devise qui – comme bien d’autres par ici – n’est qu’un voile blanc pour occulter des réalités plus sombres. Voilà une devise qui – comme bien d’autres par ici – suggère justement le contraire de ce qui se passe.
Les anciens se désolent des situations actuelles, de ces jeunes qui ne font jamais rien comme il faut et pire qui se « dévergondent » pour reprendre leurs propres termes. Ils accusent la mondialisation, la technologie, la nouveauté voire les étrangers. On se demande juste qui a décidé que cette mondialisation s’installe, que la technologie s’intègre et que les nouveautés passent devant les yeux de ces générations actuellement dévergondées…
Les anciens s’attristent du manque de curiosité intellectuelle, de ces jeunes qui ne savent rien de rien et pire qui « s’abrutissent » pour reprendre leurs propres termes. Ils pointent l’avènement d’internet qui discrédite les bibliothèques nationales, le fleurissement des émissions avec des contenus aussi farfelus les uns que les autres et voire la baisse de qualité de l’enseignement. On se demande juste qui a permis à internet d’être aussi accessible, qui a décidé de l’abonnement au câble avec ces chaînes incontrôlables, qui a fait l’inscription scolaire (ou encore qui dirige ces écoles) de ces générations actuellement incultes…
Les préjugés dont souffrent les G2000 comme on aime les appeler si bien sont tels que les évoquer ici serait du remplissage. Avec les réseaux sociaux et leur incontournable démocratisation de tout « commentaire », il est encore plus difficile de trouver ses marques. Parce qu’il est désormais facile d’accuser, de reprocher, d’humilier, les jeunes prennent exemple sur leurs aînés et pensent que pour corriger, il suffit de crier fort devant les autres. On se souvient sans doute de ces moments gênants de notre enfance quand on est réprimandé dans la cour sous les yeux de nos camarades de jeu. La différence aujourd’hui, c’est que même les non camarades de jeu peuvent voir en quoi tu es en faute et peuvent relayer ta faute, à l’infini, jusqu’à ce que les abonnés s’en lassent. On pourrait penser que ces comportements sont typiquement « jeunes », mais quand on se plonge et se mélange dans les groupes de discussions, on découvre tous ces parents qui sont friands voire addict à ces pratiques. Tels parents, tels enfants…
Combien de jeunes ont dû faire (davantage) leurs preuves pour intégrer un poste quelconque ou pour représenter leur domaine à cause du peu de confiance qu’on leur accorde ? Quand on demande à une jeune responsable de communication de répondre pourquoi on n’a pas envoyé un « adulte » à sa place, on ne peut que réprimer un pincement. Quand on demande à un jeune de « laisser parler les adultes », un refrain tant entendu depuis l’enfance d’ailleurs, on peut que garder son avis pour soi. Quand on désigne (souvent) de facto des anciens pour les postes à responsabilité dans les fokotany – quartier, on ne peut que garder ses projets pour soi. Pendant que l’île prône une devise de responsabilisation des jeunes alors qu’en même temps peu de confiance leur est accordée, il n’est pas toujours facile de s’imposer.
Heureusement, les nombreuses initiatives de start-up, les formations de leadership et les appels à projets permettent doucement d’établir un contact et de nourrir l’ambition de cette jeunesse, cet espoir de la nation. Accueillons ensemble ce Malgache, Nouvelle Génération.
Au lieu de nous plaindre constamment que c’était mieux avant, demandons-nous si nous avons réellement passé le flambeau. « Toutes les générations disent que celle d’après fait n’importe quoi, cliché ! » Orelsan.
NA HASSI
Illustration : Sabella Rajaonarivelo