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Les églises font leur cinéma

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Par Lova RABARY-RAKOTONDRAVONY et Raoto ANDRIAMANAMBE

Depuis quelques années, les salles obscures malgaches vivent quotidienne- ment des illuminations. Dans les salles de cinéma les plus emblématiques, le cinéma a laissé sa place aux cultes chrétiens.

Le port de tête est altier. Le regard perçant. Le smoking cintré à perfection.
Une immense typographie moderne accroche le regard. Ce n’est pas
l’affiche du dernier James Bond mais le « billboard » annonce la fréquence des cultes des Messagers Radio Évangélique (MRE). C’est le leader de l’église lui-même qui en fait la « promo ». Son nom est Jocelyn, Pasteur Jocelyn. Depuis des décennies, il est la tête de pont des églises « cadettes », la dénomination « lisse » des sectes à Madagascar par les institutions ecclésiales traditionnelles. Depuis 20 ans, cette église en particulier, sous la conduite du pasteur, investit le Roxy, une salle de cinéma emblématique de la capitale malgache.

Rêves

10 heures, en ce dernier mercredi du mois de novembre 1970, à Antananarivo. Les jacarandas sont en fleur. Le quartier se pare en mauve. Il fait chaud et l’air est lourd. Les nuages sont gorgés de pluie. Sur l’air de « Ole Man Trouble » d’Otis Redding, Jean-Claude « Rakl » avance d’un pas preste et plein d’assurance avec sa clique. Il arbore une balafre qu’il exhibe fièrement sur le visage. Avec sa coupe afro – la coupe dite « brown », du chanteur américain James Brown – le jeune homme arpente le quartier d’Antaninarenina avec ses autres amis « zalé » 1 . Ce quartier est l’un de leur « saloon » préféré car il est proche des salles de cinéma Roxy, Ritz et Rex. […]

Révolution

Depuis les années 70, de l’eau a coulé sous les ponts. Au fur et à mesure que la trajectoire économique malgache a suivi une pente descendante, les offres culturelles se sont également amenuisées. Comme dans toutes les capitales qui se respectent, les Tananariviens étaient friands de cinéma. Chaque mercredi, jeudi et les week-ends, ils se ruaient dans les salles obscures. À cette époque, s’offrir une télévision était un luxe. Alors, le cinéma allait bon train. Évidemment, les adolescents y allaient pour sortir avec des amis et souvent avec des « petits amis ». « Beaucoup de jeunes ont construit leur vie amoureuse dans les salles de cinéma », raconte, nostalgique, Tsarafara Rakotoson, alias Rajao, comédien star de la vidéo malgache.

Dans les années 70, la Grande île ne recensait pas moins d’une cinquantaine de salles. Selon Karine Blanchon, dans son article Écrans noirs sur l’Île rouge. Voir le cinéma à Madagascar, hier et aujourd’hui, « le nombre de spectateurs à Antananarivo était de près de 1 700 000 à cette même période ». Néanmoins, la révolution de 1972 est passée par là. La révolution socialiste et son Livre rouge, aussi. Avec l’avènement de la deuxième République, l’État décide de contrôler la diffusion des films. Il s’attribue dès lors le monopole de l’importation, de la distribution et de la programmation des films. Les salles sont invitées à diffuser de plus en plus de films « soviétiques » et nord-coréens, ainsi que des images de propagande. […]