La vue de ce champ immense et soigné, où les mains de ma mère se mêlaient à celles de son père pour prendre soin, gratter, arroser et faire pousser, me remplissait le coeur et l’âme de fierté. C’était notre royaume.

Le chant des oiseaux au-dessus de nos têtes, le claquement sec des sécateurs, le bruit mou des monceaux de feuilles qu’on entassait, le chuchotement mouillé de l’alambic pendant la cuite faisaient comme une musique à mes jeunes oreilles. La douceur des feuilles duveteuses pourtant si fermes, que je prenais plaisir à caresser à chaque passage, et les effluves puissantes qui s’élevaient de cet océan végétal qui m’arrivait à la ceinture, font encore aujourd’hui partie intégrante de mes souvenirs d’enfance. J’y reviens à chaque fois que j’effleure un pied de géranium, quel qu’en soit le lieu.

 

Le goût des goyaves, des pocs-pocs qui poussaient à foison dans les fourrés ou des tendres carottes et concombres que je chapardais dans le potager attenant est associé pour toujours dans mon esprit à ces moments d’intense liberté. Je me revois allongé à même le sol, observant dans les herbes hautes le pullulement des insectes, éphémères et involontaires camarades de jeux, dont ma cruauté toute enfantine pouvait à l’occasion clairsemer les effectifs.

 

Je ne m’ennuyais jamais, la nature regorgeait de matières premières pour la fabrication de jouets divers. Elle était généreuse et mes mains étaient habiles.

 

Mon oncle Frantz, d’un an et demi mon aîné, m’avait appris comment, d’un simple morceau de bois, sculpter sabres, couteaux et autres poignards dont nous nous servions ensuite pour nos jeux. Il m’avait également enseigné à bien en choisir le bois, de préférence le bois de chandelle pour sa tendreté. Ces armes bien imitées attisaient quelques convoitises parmi nos camarades. Il faut dire que nous en peaufinions chaque détail. Nos arcs et nos flèches, dont nous prélevions la matière première dans la touffe de bambou de Grand-Père, remportaient également un franc succès auprès de la marmaille du quartier. Nos imaginations enfantines semblaient n’avoir aucune limite.

 

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