Ilots
Par Estelle Coppolani
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Ni ancien, ni nouveau monde : rien que des froissements.
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Aux flancs de Salazie l’illusion d’une histoire collective qui sédimente sans occulter n’a point
poussé. Femmes et hommes vivent dans la contre-allée, simplement.
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C’est le propre des formations volcaniques d’endurer le temps, de l’engloutir dans leur fournaise, de
cracher magma et de recommencer sans fin.
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Est incessament dégrossi, ainsi que carrière de Carrare, ce qui est travaillé par la blessure. Nulle
entaille n’est plus efficace à se répandre en vertige de fissures, en tournoiements de veines grises.
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Il nous est arrivé de comparer les troncs brunis des bananiers secs aux champs de cannes mais les
bananiers morts n’étaient pas assez tristes.
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Ce ne peut pas être une île, ceci que les cartes impriment à la chute de l’Afrique, à la pointe du
grand océan de l’Inde allé jusqu’à Madagascar : tout au plus une goutte duplique à la Maurice reine
(dirent-ils), une négligence quelconque, l’éclaboussure d’une touche où manquait l’attention.
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L’Océan indien n’a aucun visage. Ni corps debout, ni grande bouche, comme cette éclatée Caraïbe
où s’ébruitent sûrement les couplets de colère. Les Amériques noires n’ont pas taillé la négritude à
d’autres dimensions que la leur. C’est pour cela que, franc-bâtard, mon océan peut porter quantité de masques.
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J’ai connu une femme qui, à force de retranchement et d’humidité, a fini par se transformer en un
archipel d’îles silencieuses. Une après-midi, ses lèvres ont laché : Je ne fleurirai pas.
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La parole est la forme de respiration la plus aboutie dans son mariage avec la ruine. C’est pourquoi
nulle puissance de dévastation n’a raison des langues créoles. D’ailleurs, si celles-ci venaient à
s’incarner, elles iraient chantant : désolation est le prénom de nos vertiges, amour celui de nos
torrents.
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Les ravines alliées ont plié bouche dès que j’ai cherché à parler : j’ai dû me mettre à murmurer.
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La sédentarité dans la langue participe la première de la pétrification de la pensée.
Pourtant, le pouvoir de séduction d’un idiome statuaire n’est pas à mépriser.
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Certains ont voulu fouiller les terres avec la même ardeur que des animaux blessés et ils y ont laissé
leurs mains. D’autres ont jeté leur bouche aux fruits de couleur vive. Eux ont laissé leurs dents.
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