Philippe de Magnée place patiemment sur le web, depuis cinq ans, les chansons qu’il a enregistrées durant plus de trente ans à Maurice et dans les îles des Mascareignes.

Le site filoumoris.com est devenu aujourd’hui un fonds sonore qui enchante les artistes et les chercheurs qui peuvent accéder à un fonds sonore d’une richesse inouïe révélant autant les initiatives musicales que les démarches poétiques et langagières de différents univers créolophones sur plusieurs générations.

Il y a cinq ans, Philippe de Magnée perd un de ses amis. Ce décès interpelle son épouse. « Que vais-je faire de tout cela si tu meurs ? » lui demande-t-elle. Philippe n’a alors que 60 ans. Réjouissante perspective ! « Cela », c’est l’oeuvre de toute sa vie jusqu’à ce qu’il atteigne ses 60 ans : tous les enregistrements réalisés depuis qu’il débarque à Maurice au début des années 1980. Des kilomètres de bandes magnétiques qui témoignent autant de la passion de l’ingénieur du son que de ceux qu’il côtoie dans la poussière des villages de l’ouest ou dans une église ouverte avec l’accord d’un curé complice …

Il y a un changement qui mijote dans la marmite mauricienne depuis le 20 mai 1975, quand les étudiants bravent les forces de l’ordre dans les rues de la capitale et sur le pont de la Grande-Rivière. Qu’importe qu’ils n’aient pas encore 18 ans, les forces de l’ordre chargent au gourdin et au gaz lacrymogène. Mais les gamins résistent ; ils sont partout. Il y a comme un sursaut dans le pays ; les plus grands s’en mêlent, c’est la casse, le pays s’embrase. Le pouvoir issu de la période de l’Indépendance est en train de s’effriter. Déterminé à s’y accrocher, Seewoosagur Ramgoolam¹ ordonne la répression contre les politiciens du MMM² qui ont l’avantage de leur jeunesse et des idéaux égalitaires disparus avec des tribuns comme Maurice Curé, Emmanuel Anquetil, Pandit Sahadeo et Guy Rozemont.

¹ Seewoosagur Ramgoolam (1900-1985) : Homme d’État mauricien, premier ministre de Maurice (1968-1982) puis gouverneur général, il est considéré comme le « Père de la Nation » mauricienne.

² MMM : Mouvement militant mauricien, parti d’opposition créé en 1969 largement inspiré des mouvements contestataires de 1968.