- Entre les lignes -
En eaux troubles, Jean-François SAMLONG, Continents Noirs, Gallimard 2014.
Il n’y a pas pire enfer que dans le cœur d’une mère endeuillée. Comment localiser la souffrance quand les larmes s’enlisent dans le silence ? Et surtout comment débusquer la douleur quand il n’y a pas de corps à déterrer ?
La mère hurle la mort depuis la profondeur de ses tourments, logés partout et nulle part. Ses larmes font gonfler les vagues tandis que ses cris aplatissent les ondulations de la mer. Les remous des souvenirs se heurtent violement aux rochers de ses souffrances. Les cris s’étouffent dans le déferlement des ondes qui moussent l’amertume. La rancune écume le peu d’espoir qui reste, comme un bois sec et creux qui flotte sans avenir sur l’océan sans fin. Il n’y a pas pire écho que celle de l’absence, dedans et dehors. Comment accepter que la mort noire puisse se tapisser sous la mer turquoise pour ensanglanter les larmes et blanchir les nuits ? Comment imaginer que sous la surface lisse se glissent des dents de scies prêtes à découper en morceaux l’avenir et la chair ? Comment y croire, surtout que « La planche de surf, coupée en deux, n’était pas une preuve suffisante… » (p.29) ?
La mer est un ventre vide assoiffé de sang dilué dans ses écumes. Elle se décolore de la colère des mères et se déteint du départ des enfants. Son bleu immense n’est plus qu’un fond insondable où s’égarent les âmes intrépides. Ses profondeurs ne sont plus que des abysses où retentissent les murmures du passé. Confidente, elle prête son silence aux uns comme elle arrache les aveux aux autres. Conciliante, elle accueille les bêtes affamées comme elle est attentive aux reproches des familles en deuil. Immense, elle engloutit la bêtise des humains comme elle recrache les morceaux de leur haine. Pourtant, la mer n’est que bleu turquoise reflétant le ciel, ses nuages et ses orages. Elle n’est que liquide vibrant, hanté par les rêves des humains et peuplé de la faim des requins. Elle n’est qu’eaux troubles qui s’agitent en écho aux excès et aux abus dont elle est témoin. « … la mer tout autour n’était qu’un indescriptible désordre avec des remous et des débris de rêves qui remontaient à la surface. La mer, cette tombe anonyme ». (p.105)
La mère médit le silence de la mer et maudit la violence de la mort. Celle de son enfant. Celle de son amour passé. Celle de sa vie entière, depuis son amour d’antan au départ de son enfant hier. Elle attend que la mer lui rende les morceaux de son fils et de ses rêves. Elle retient son souffle pour relâcher ses pensées comme des bêtes sauvages prêtes à tout dévorer sur leur chemin. Justement, des ombres du passé attendaient sur les bords. Précisément, des pièces de puzzle de son histoire sont éparpillées sur le rivage. Délicatement, la mère les dépose sur le sable comme un enfant dispose des coquillages : sa haine, ses souffrances, son passé. Méticuleusement, la mer envoie mousser ses vagues légères pour tout emporter… Au loin, les cris ne parviennent plus jusqu’à la plage, estompés par l’appel du lendemain qui pointe à l’horizon. La mer est la même, fidèle à ses remous et ses silences. « Celui qui n’a pas entendu le chant de la mort de la mer, si affligeant, ne peut que condamner le désir que j’avais de venger mon fils ». (p.213)
NA HASSI