Emmanuel Genvrin
“Le théâtre Vollard a semé des graines.”
Par Thomas SUBERVIE - Photos : Corine TELLIER
Fondateur et metteur en scène emblématique du théâtre Vollard, Emmanuel Genvrin a écrit, joué, vécu pour son art et sa liberté d’expression. Il a notamment signé onze pièces et trois opéras au sein de sa troupe. Ses nouvelles parues dans Kanyar depuis 2013 (et aujourd’hui dans Indigo… ) et son premier roman Rock Sakay, sorti chez Gallimard en 2016, marquent un nouveau départ dans la carrière d’un homme qui n’a pas fini de nous surprendre.
L’année 2018 marquera les quinze ans du retrait de notre théâtre ». Installé
sur la terrasse de sa grande maison coloniale, cachée par une luxuriante
végétation, Emmanuel Genvrin semble avoir choisi une vie au calme après bientôt quatre décennies sur le devant de la scène. Encore aujourd’hui, cette aventure semble ancrée en lui et il la défend: « Vollard, c’est d’abord une troupe qui a gagné tous ses paris, en totale indépendance ». Une bande qui n’a pas hésité à aborder les sujets sensibles de La Réunion « lontan », mais aussi ceux de la société contemporaine. La dernière création, l’opéra « Chin », version lyrique de « Quartier Français » par exemple, traitait de l’alliance du communiste Paul Vergès et du sucrier René Payet afin de sauver une usine sucrière. Pour l’ancien étudiant en psychologie, « le théâtre dépasse parfois le pur spectacle, pour devenir un phénomène de société. Dans notre cas, on sentait une forme de solidarité se dégager des représentations, tant c’était fort ». Si cette popularité est tout ce que pouvait espérer l’équipe, elle est en fait le fruit de la rencontre entre un monde créole et le théâtre populaire. Fondée en 1979, la compagnie n’est pas encore professionnelle, composée d’acteurs issus aussi bien de milieux bourgeois que populaires : Pierre-Louis Rivière était fils d’usinier, Arnaud Dormeuil apprenti maçon, Nicole Payet ouvrière.
Pour son fondateur, « La troupe était le reflet d’une société réunionnaise en devenir ». À l’époque, le Centre Réunionnais d’Action culturelle (le CRAC) privilégiait la langue française et le répertoire classique, ce qui restreignait son public. Vollard brisa les codes en créant des spectacles originaux nourris de langue, de musique et même de cuisine créole. Au-delà du succès de leurs spectacles, on retiendra leur volonté de stimuler le public, de lui apporter un autre regard. « J’avais les mains libres pour l’idéologie et on souhaitait être une minorité active et consciente », explique Genvrin. L’objectif était humaniste et républicain, il ne s’agissait pas seulement de divertir mais aussi d’instruire, notamment sur l’Histoire maintes fois manipulée, voire déformée par les idéologies et l’action politique. Le metteur en scène a d’ailleurs une opinion bien tranchée : pour lui, on ne doit subventionner des œuvres que si elles apportent « une plus-value intellectuelle et artistique ». Le spectateur doit sortir d’une représentation « grandi », « meilleur » et mieux instruit de la société dans laquelle il vit. Pour l’État et les collectivités, la culture doit constituer un investissement comparable à celui de l’école et de la santé.