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De helenevernon99@gmail.com

à alizeevernon@free.fr

objet : un brasero ottoman

15/3/ 21

 

 

Décidément certains de nos actes, si minimes soient-ils, peuvent parfois avoir des conséquences imprévues ! La curiosité qui m’a amenée à chercher à en savoir plus sur l’Américain d’Elisabeth – c’est ainsi que je l’appelle – a soulevé la poussière accumulée depuis des décennies et a fait surgir des personnages insoupçonnés, comme cette Susan qu’il devait épouser en 1947.

Je t’avais dit que Courtney m’avait demandé des conseils pour tenter de la retrouver. J’avais fait quelques suggestions mais je n’avais pas vraiment pu l’aider. Néanmoins, elle s’est débrouillée comme un chef et me tient au courant des progrès de son enquête, ce qui me touche. Elle a le même âge que toi et donc les mêmes réflexes : Facebook ! J’avais oublié cette photo d’une femme qui n’était pas Elisabeth retrouvée dans les papiers de Nicholas. Une photo ancienne en noir et blanc qui représentait une jeune femme avec des cheveux bouclés et coiffés à la mode des années 40 à 50. Mais Courtney s’en est souvenue et s’est dit que ce pouvait être Susan. Elle a donc mis la photo sur Facebook, expliqué qu’elle faisait des recherches généalogiques et cherchait les descendants de cette Susan qui pourraient sans doute l’aider. Eh bien la réponse n’a pas tardé ! Une femme d’un certain âge a contacté Courtney en lui disant que Susan était une amie de sa mère aujourd’hui décédée. Elle était enfant lorsqu’elle allait jouer chez Susan mais la reconnaissait sans le moindre doute. Elle a oublié son nom de famille mais affirme que, par le biais de connaissances communes, elle pourra le retrouver. Un bon point pour Courtney car elle est au moins certaine que la photo est bien celle de Susan. Cela aurait pu être n’importe qui d’autre : une cousine, une amie de la famille…

Je ris car Courtney, semble, comme je l’étais pour Elisabeth, dévorée de curiosité quant à la vie sentimentale de son grand-père. Ce cher Nicholas ne se serait certes pas douté qu’un jour on fouillerait ainsi dans son passé et dans son intimité… Hier, en prenant connaissance de son mail, il m’a semblé entendre le rire moqueur d’Elisabeth qui lisait par-dessus mon épaule !

 

J’ai eu hier des nouvelles de ton père, qui s’est cassé le bras – fracture ouverte – en tombant d’une échelle alors qu’il faisait des réparations dans son appartement à Rome. Je suppose que tu es au courant ? J’ai été prévenue par Isabella et je l’ai appelé tout de suite. Il n’avait pas trop le moral comme tu l’imagines car il ne va pas pouvoir peindre pendant au minimum un mois.

Puis nous avons parlé de tout et de rien ; il m’a dit qu’il était allé se changer les idées au mercatino de San Lorenzo. Brutalement, j’y étais moi aussi. Tu te souviens ? C’est là que j’ai acheté le très joli brasero ottoman en laiton et cuivre. Ce mercatino était un lieu incroyable : on y trouvait aussi bien des meubles que de la vaisselle, des miroirs anciens, des tableaux ou des objets les plus insolites. Tu m’accompagnais ce jour-là en faisant la tête et en traînant des pieds. Puis j’ai acheté le brasero et nous n’avons pas trouvé de taxi pour nous raccompagner. Je nous revois, toi portant le socle et moi le « couvercle ». C’était lourd, nous étions fatiguées, enfin surtout toi, car moi j’étais tellement ravie de ma trouvaille que je ne pensais pas à me plaindre ! Tu m’as demandé à quoi pourrait bien servir ce vieux machin, lourd comme un âne. Est-ce je comptais y mettre du charbon et l’utiliser pour chauffer notre appartement ? Nous nous sommes disputées en pleine rue ; on nous regardait. Nous avions l’air de deux coqs furieux ! Et puis l’une de nous, je ne me souviens plus laquelle, prenant conscience du spectacle ridicule que nous offrions, a été prise d’un énorme fou-rire qui a contaminé l’autre.

Il me reste de Rome de jolis souvenirs qui côtoient de bien mauvais … C’est une époque qui a été difficile pour nous trois sur le plan familial. Je sais que tous nos efforts pour que tu sois épargnée par le divorce n’ont pas empêché ta peine, ton ressentiment à l’égard de l’un ou de l’autre ou de nous deux. Nous avons longtemps évité le sujet pour ne pas remuer le couteau dans la plaie…

 

Je t’embrasse bien fort

 

De helenevernon99@gmail.com

à alizeevernon@free.fr

objet : maisons malgaches

18/3/ 21

 

J’ai été heureuse avant-hier, lorsque nous avons bavardé au téléphone, de t’entendre me dire que tu gardais aussi, précieusement, dans ta mémoire, de merveilleuses images de Rome, des promenades aux environs et de ce séjour paradisiaque à Ischia, avec ces sources d’eaux chaudes connues depuis l’antiquité, sa mer turquoise et ses petits villages à l’intérieur des terres, encore préservés du tourisme de masse.

Je pense que d’ici peu tu pourras retourner en Italie voir ton père. La vaccination va commencer à produire ses effets. Cela dit, les discours fumeux, mensongers et, la plupart du temps, contredisant le discours précédent, de tous les chefs d’état m’énervent prodigieusement. On se moque de nous, nous les peuples dispersés dans le monde entier, et nous n’avons aucun moyen de réagir. Nous sommes obligés de nous plier à des décisions qui ont été prises soit par des incapables, soit par des politiciens en fonction de paramètres qui nous révolteraient certainement si nous les connaissions.

 

Je suis allée ce dimanche photographier des vieilles maisons malgaches, de ces maisons dites traditionnelles. Elles sont en train de disparaître, il est temps que j’en conserve quelques souvenirs. Je t’enverrai ma récolte. J’ai surtout photographié des détails de briques agencées de manière décoratives autour s’une fenêtre, de rambardes en fer forgé, de frises de toit, de colonnes en granit sculpté, de cheminées élégantes. Mais j’ai dû, souvent, hélas, détourner les yeux de constructions ignobles. Quand je pense que les Malgaches avaient, il y a 20 ans encore, un trésor pratiquement intact dans le haut de la ville et qu’ils l’ont saboté… C’est comme un suicide : du gâchis… une fortune à portée de main qu’on dédaigne. Ça s’appelle aussi « scier la branche sur laquelle on est assis ». Car ce patrimoine il était la promesse de touristes, d’amoureux de la beauté avec toutes les retombées économiques que cela implique ; il était probablement la promesse de dons de l’UNESCO pour sa préservation.

 

Je t’embrasse, à demain

 

Pour chasser la morosité et terminer sur un éclat de rire : en rentrant à la maison tout à l’heure, je roulais derrière un minibus dont les portes arrière ne pouvaient pas fermer totalement en raison du chargement qui dépassait légèrement. Devine ce que le conducteur avait utilisé pour maintenir entrebâillées les deux portes ? Je te le donne en quatre, je te le donne en dix… Jettes-tu ta langue aux chiens ? UN SOUTIEN-GORGE ! De couleur mauve, les bonnets avaient juste l’écartement nécessaire. J’ai cherché fébrilement mon téléphone rangé dans mon sac afin d’immortaliser cette image mais le minibus a tourné. Trop tard ! Quel dommage !

 

De helenevernon99@gmail.com

à alizeevernon@free.fr

objet : Laurent

22/3/ 21

 

Ma chérie,

 

Que les mots paraissent et sont vains en ces circonstances. Ta rupture avec Laurent, je la pressentais plus ou moins ces derniers mois. Maintenant qu’elle est effective, je reste si désarmée pour te consoler. Toute phrase est maladroite. Je les ai passées en revue :

– Un de perdu, dix de retrouvés est certainement la pire !

Mais il y a aussi :

– Il n’était pas fait pour toi (ben oui et tu as fait semblant de le trouver sympa pour me faire plaisir tout ce temps-là ? me lancerais-tu à juste titre)

Ou la variante :

– Tu n’aurais pas été heureuse avec lui ! Ça se sent (ah oui, et comment ? ironiserais-tu ; tu as dû avoir le nez bouché ou la Covid car tu ne disais pas ça il y a 6 mois))

Ou encore :

– Il vaut mieux que ce soit maintenant ; vous n’avez pas d’enfant, pas de biens en commun (comme si c’était une consolation…)

Mais aussi :

– Je n’ai pas aimé la manière dont il agissait avec toi, ma fille adorée, la prunelle (parfaite) de mes yeux !

 

À vrai dire, je me tais, n’ayant rien d’intelligent à t’écrire ; je te dis simplement mon amour inconditionnel et ma tristesse de ne pas être près de toi.  Je t’aurais fait un thé fumé de chine et nous aurions mangé des petits gâteaux, parlé de tout sauf de lui, ri en évoquant certains moments partagés ou certaines lectures. Car le seul remède à ce que tu traverses est le temps. Il me semble toutefois que l’on peut accélérer – un peu, seulement un peu – le processus par des distractions, par un voyage, par une promenade, par un verre avec ses amis ou un thé avec sa mère !

Es-tu libre cet après-midi pour un thé Messenger ? En écrivant ceci, je secoue la tête accablée par ce qu’est devenue la vie pour nous : masqués, confinés, réduits à des visites par écrans interposés…

 

Je t’embrasse, encore et encore

 

De helenevernon99@gmail.com

à alizeevernon@free.fr

objet :

23/3/ 21

 

J’ai apprécié notre thé et nos petits gâteaux partagés devant un écran ! Ta colère a fait place au chagrin et c’est une excellente défense. Pour le moment. Na laisse pas la rancœur prendre toute la place. Vous avez vécu de jolis moments… Oui, je sais, c’est trop tôt…

 

J’ai un peu moins de travail en ce moment et je prends souvent un café avec Albane en allant faire mes courses. Son mari était parti en France et il est bloqué. Il pensait, en tant que malgache être prioritaire sur le prochain et unique vol du mois d’avril mais l’avion est archi complet.

La maison mitoyenne à la nôtre, celle que tu aimes bien, est à nouveau louée. J’ai aperçu le nouveau voisin, il a l’ait très sympathique. Son chien aussi ! Je suppose qu’il a une famille qui va arriver. Je suis ravie que cette maison ne soit plus vide, c’était triste ce jardin à l’abandon…

Je t’embrasse très fort

Par Hélène VERNON 
Illustration d’Andou Baliaka