Notre enfance
nous construit
« Il reste toujours quelque chose de l’enfance, toujours… » Cette phrase de Marguerite Duras amène à vouloir connaître ce qui est resté de notre enfance à nous. Cette période de notre vie est sans doute l’une de celles qui nous construisent. Certainement parce qu’elle imbrique dans chaque infime partie de nous-mêmes tous nos souvenirs, les bons comme les mauvais.
Les jeux comptent parmi les meilleurs moments, surtout quand on grandit en campagne malgache. Ici, il y a encore suffisamment d’espace pour s’épanouir. Ici, il y a encore suffisamment d’imagination pour inventer. Ici, il y a encore suffisamment de temps pour fabriquer soi-même.
On se souvient facilement de ce losange en plastique à longue queue qui virevolte dans le vent d’un ciel bleu. On a confiance en nous, en ce vent, en ce ciel et surtout en nos petits doigts. Ceux-ci sont maîtres de tout ce monde vibrant. Tout est ancré : de la quête de brindilles pour la structure jusqu’au découpage précis d’un sac en plastique ramassé ça et là. On n’oublie pas l’ambiance et l’excitation de la petite virée de la bande à l’épicerie du coin pour acheter du fil de couture. Si on a un camarade, enfant de couturière, c’est encore mieux. Puis, on se trouve une boîte de conserve dans une ordure qu’on nettoie soigneusement pour enrouler le fil. Au diable la boîte s’il n’y en a pas, un morceau de bois suffit. Discrètement, on maîtrise la géométrie, la gravité et même les quatre vents. À notre insu, on apprend toujours quelque chose de l’enfance…
On se remémore aisément de ces marmites en boîte de sardine, de ces ustensiles en pots de yaourt découpés et de ces assiettes en couvercles de bocal. On croit en ces fleurs et plantes en tout genre qui remplissent toutes sortes de boîtes récoltées un peu partout. On se prépare des recettes fantaisistes, on invente des plats multicolores et on s’imagine déguster nos mets préférés. Tout est rêvé : de l’odeur de la cuisson, du frétillement du feu de bois imaginaire, jusqu’aux brûlures si on oubliait ces gants de feuille pour porter la marmite hors du feu. Subtilement, on s’initie à la vie d’adulte. À notre insu, on vit toujours quelque chose de l’enfance…
On se rappelle ces glissades en pente sur une planche de bois sur laquelle on a frotté une bougie. On dévale les descentes de rues goudronnées, on freine avec nos pieds et nos mains vêtus de sandales scoubidou et on s’extasie des virages forcés ou des coups de freins brusques. Tout est extrême : du hurlement pour imiter la vitesse, du crissement de sandales qui s’effritent et de la sensation d’être hors de danger. Légèrement, on cultive le goût du risque. À notre insu, on garde toujours quelque chose de l’enfance…
On garde en nous de nombreux instants où on a bricolé nos propres jouets : cerf-volant, calèche (le fameux roulement), voitures (en taillant des briques ou en bidouillant des boîtes de sardine), abri, toupie (en faisant fondre des morceaux de plastique), ballon (en enroulant des cordes sur des sachets en plastique roulés en boule)… Ces morceaux de notre enfance ont glissé en nous le système D, cette capacité de faire de tout avec n’importe quoi. C’est quand même étonnant que de nos jours, on nous apprend le recyclage, alors qu’on avait cela presque dans nos gènes… C’est en construisant nous-mêmes nos jouets qu’on se construisait nous-mêmes. Comme le dit Thomas Bernhard : « vieillir, c’est se rappeler son enfance »…
Et vous, quels jeux et jouets handmade avez-vous gardé de votre enfance ?
NA HASSI
Illustration : Sabella Rajaonarivelo