Chien de guerre
Par Olivier SOUFFLET
La reconquête de leur pays achevée en 1250, les Portugais poursuivent en mer Méditerranée et en Afrique la lutte contre les « Maures ». Au XV e siècle, ils cherchent un passage sous l’Afrique pour prendre le monde musulman à revers et ouvrir au commerce avec l’Orient une voie maritime affranchie des déserts arabes. C’est l’exploit de Vasco de Gama qui relie en 1498 Lisbonne à Calicut, sur la côte occidentale de l’Inde. Le destin des îles Mascareignes est scellé.
Dans l’or d’un matin de l’année 1512, le capitao Pedro Mascarenhas est planté droit sur le château de poupe de son navire. Costume défait, cheveux sales batus par le vent, profil d’aigle creusé par le sel, peau tannée ; l’épée à la cuisse oscillant comme un pendule au mouvement du pont. Angoissés par l’inconnu, ses yeux fiévreux scrutent l’horizon. La nef file, désespérément seule au milieu des flots. Soudain, au loin, une masse sombre et floue relie la mer indigo à l’azur du ciel. Terre ou nuage ? Le regard braqué sur la tache brune, le capitao serre les dents. L’équipage retient son souffle. « Terra ! Terra ! » hurle la vigie en pointant un bras dément vers l’infini… Cap sur un volcan en éruption crachant sa fumée.
« Mais non… » rétorque, cinq siècles plus tard, avec douceur et indulgence, Fernando Mascarenhas, marquis de la Fronteira. Benfica, banlieue de Lisbonne, en février 1998. Dans un palais aux façades de faïences bleues, joyau architectural du XVI e siècle précédé d’un parc où s’entrecroisent de grandes allées peuplées de sculptures blanches, bordées de haies taillées, agrémentées de palmiers. Des azulejos, les céramiques peintes blanches et bleues emblématiques du Portugal, couvrent les bancs, les murs, les escaliers. Une pure merveille sous le soleil hivernal.
Une employée apporte des cafés. Par la fenêtre ouverte, des chants d’oiseaux parviennent des jardins du palais. Le marquis éteint sa cigarete. Son bureau est encombré de tableaux généalogiques. Devant lui, un gros volume de l’Encyclopédie portugaise et brésilienne, ouvert à la page de la biographie de Pedro Mascarenhas. Fernando Mascarenhas est l’héritier d’un grand nom de la noblesse portugaise. Descendant direct du fondateur d’une lignée anoblie au XV e siècle, parente de celle du découvreur présumé des îles Mascareignes (La Réunion, Maurice, Rodrigues).
« Les Mascarenhas sont devenus une famille importante grâce au titre de Dom accordé à Fernao Mascarenhas en 1496, précise-t-il. Ses fils ont généré plusieurs branches. Notre branche est, je crois, du troisième fils. » Universitaire sans fortune, le marquis de la Fronteira a créé une fondation pour préserver son patrimoine, splendeur de la Renaissance portugaise coincée dans la banalité architecturale de Benfica, en bordure du parc de Monsanto – pas très loin du stade. Dans la douceur de l’hiver portugais, il plonge dans le labyrinthe de ses origines sur les traces de son ancêtre Pedro. Une redécouverte incertaine. Car la vérité, c’est qu’on ignore par qui et dans quelles circonstances exactes ont été découvertes les îles Mascareignes. […]